Aveux secrets ou humiliation d’un procès public ?

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Posté sur mai 01 2019 5 minutes de lecture
Aveux secrets ou humiliation d’un procès public ?
© La femme de l’attente... Une peinture datant des débuts de l'artiste figurative Fitam Mourad. Dédicacée à Wadad Halawani, qui pour elle résume toutes les attentes
Rien n’oblige un criminel, même s’il éprouve des remords, à divulguer des informations sur le sort de ses victimes à leurs familles, surtout après une quarantaine d’années. Nous vivons dans le pays de l’oubli délibéré, où l’ambiguïté et les atermoiements visent à pousser les ayant-droits à abandonner leur quête de vérité.
Toutefois, les familles des victimes de disparition forcée durant la guerre libanaise font preuve d’une persévérance qui, malgré les atermoiements et la négligence, a finalement débouché sur une loi. Celle-ci, si elle est appliquée, pourra panser quelques plaies. Toutefois, qu’est-ce qui oblige vraiment un criminel à avouer son crime et fournir des informations sur ses victimes tant qu’il n’existe aucune preuve contre lui et que personne ne l’accuse vraiment ? Tant que son chef d’hier est le gouvernant d’aujourd’hui, et qu’il bénéficie d’un casier judiciaire vierge grâce à une loi d’amnistie qu’il a lui-même, ainsi que les autres chefs de guerre, adoptée en marge de l’accord de Taëf ?
Comment une conscience, qui s’est résolue à poursuivre sa vie en paix, peut-elle être poussée à révéler à une mère le sort de ses enfants enlevés ou disparus ? Le cœur d’un criminel, même repentant, rechigne à donner à une mère ou un frère des preuves sur le sort de leurs bien-aimés : sont-ils vivants ou morts ? Et dans les deux cas, où, quand et comment ?
L’amnistie générale décrétée par la majorité des forces ayant participé à la guerre civile (1975-1990) a faussé le processus de la justice, qui est à la base de la construction saine de l’avenir de tout pays ayant vécu une guerre civile destructrice. Ce processus suppose des aveux accompagnés de preuves et d’informations, suivis de l’expression d’un remords, en vue de la réconciliation et du pardon. Pour cela, la lutte des parents de disparus se poursuit depuis près de quatre décennies en vue d’acquérir des preuves irréfutables sur le sort de leurs bien-aimés. Ils n’arrivent à leurs fins que petit à petit, et difficilement. Quant aux criminels, ils vivent leur vie de manière tout à fait normale.
Malgré la satisfaction qui a suivi l’adoption de la loi sur les disparus après de longues années d’attente, beaucoup, dont moi-même, demeurent convaincus que la devise du comité de parents de disparus, « le droit à la vérité avant le pardon », est irréalisable. Qui voudrait demander pardon aux parents de disparus tant que personne n’est accusé de quoi que ce soit, ne fait l’objet d’aucune enquête ou n’est appelé à comparaître devant un tribunal ? Le pardon est-il une nécessité à ceux qui ont trouvé des justifications à leurs comportements durant les quarante ans passés ? A ceux qui aujourd’hui racontent probablement à leurs enfants leur propre version de la guerre, celle où ils tiennent de toute évidence le rôle de victime ?
Le criminel a été exonéré avant même d’avouer son crime, et il n’attire même plus les regards. Que signifierait pour lui le pardon des familles de victimes tant qu’il profite de l’absence de preuves de ses crimes ? Les parents de disparus font figure d’idéalistes, voire de naïfs croyant en la nature humaine, ce qui les honore mais ne leur fait aucun bien.
Toutefois, quand on examine de près les articles de la loi 105 sur les disparus, en accord avec le comité des parents de disparus, on se rend compte qu’il existe des possibilités implicites que l’on peut résumer par la phrase suivante : « Le choix entre l’humiliation publique et les aveux secrets. »
Il est bien connu que le crime de l’enlèvement est persistant au-delà de la période de guerre ou celle couverte par l’amnistie, s’il n’est pas prouvé qu’il est confiné à cette période. De plus, nombre d’enlèvements ont été commis dans des zones qui étaient dominées à l’époque par des forces bien connues : l’identité de ceux qui ont perpétré ces crimes est donc un secret de polichinelle et, conformément aux lois qui régissent les armées, ce sont les chefs et non les subalternes qui sont traduits en justice, puisque c’étaient ceux qui avaient donné les ordres. Voilà pourquoi il devient facile d’identifier les parties politiques qui étaient responsables des régions où avaient eu lieu les enlèvements, par le biais de la Commission nationale des victimes de disparition forcée, créée en vertu de la loi 105, qui lui a conféré toutes les prérogatives nécessaires. De ce fait, ces parties seront tenues d’apporter des réponses publiques aux enquêteurs, concernant le sort des victimes qu’elles sont accusées d’avoir enlevées, et elles devront fournir des preuves de leur liquidation quand c’est le cas, avec des détails sur leur lieu d’inhumation. Ou alors elles devront préciser si elles ont remis leurs victimes à une tierce partie, qui devrait être interrogée à son tour.
Si ces parties décident de leur propre volonté de fournir de telles preuves à la commission, elles profiteront alors des conditions du secret, et leur identité restera cachée. Ces conditions s’appliquent aux individus, qu’ils soient impliqués directement dans le crime ou simples témoins, afin d’encourager les aveux. En bref, les parties concernées par les enlèvements auront deux choix : soit fournir volontairement ces informations sous condition du secret, soit être soumises à un interrogatoire puis à un procès public qui exposera leurs crimes, en cas de preuves de leur implication.
Cette méthode permettra peut-être de clore ce dossier douloureux et honteux. Mais ce sera une fin qu’on ne pourrait qualifier d’heureuse.

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