La pollution atmosphérique au Liban : les cas de l’industrie du ciment et des générateurs privés

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Posté sur mai 23 2022 par Charbel Afif, Professeur à l'Université Saint Joseph au Liban 9 minutes de lecture
La pollution atmosphérique au Liban : les cas de l’industrie du ciment et des générateurs privés
Adra Kandil
L’industrie manufacturière est l’un des piliers de l’économie des pays ; elle a longtemps constitué la base du développement et de la sécurité économique de leur croissance. Même si les pays en développement se tournent de plus en plus vers le secteur des services pour rattraper leurs homologues développés, l’industrie manufacturière est jusqu’à présent le moyen le plus sûr de réduire la pauvreté et de créer de l’emploi. Le secteur des services offre un avantage compétitif à l’industrie manufacturière en associant des services à des biens afin d’augmenter la valeur pour les clients.

Une conséquence de cette activité humaine est la pollution de l’air où les secteurs de l’industrie et de l’énergie jouent un rôle important, notamment au Liban. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la pollution atmosphérique est à l’origine d’environ 4 millions de décès prématurés par an (OMS, 2022), tandis que la Banque mondiale a estimé à environ 1 800 le nombre de décès causés par la pollution atmosphérique au Liban pour l’année 2013 et un coût social de plus de 2,5 milliards de dollars US pour cette même année (Banque mondiale, 2016). Les seuils de sécurité de la pollution atmosphérique en dessous desquels aucun impact sur la santé n’est détecté sont diminués à chaque révision de l’OMS, le dernier en date étant celui de septembre 2021 (OMS, 2021). 

Industrie du ciment : faut-il choisir entre l’environnement et l’économie ?

L’industrie du ciment est l’un des principaux acteurs du secteur manufacturier au Liban. Elle existe depuis plus de 80 ans malgré les guerres et constitue un contributeur important du PIB du pays.

D’aussi loin que je me souvienne, les industries du ciment au Liban ont été en conflit avec les communautés voisines pour des raisons liées à l’environnement, bien que la majorité de leurs employés soient des résidents des villages environnants. Les industries du ciment tirent une part importante de leur matière première de leurs carrières situées à proximité des usines, ce qui est financièrement très avantageux pour gagner du temps et minimiser le coût du transport. Ces matériaux extraits sont d’une qualité très appropriée pour leur produit final, ce qui se reflète dans la bonne qualité du ciment produit. Cependant, la licence d’exploitation des carrières a été débattue pendant longtemps, surtout qu’une approbation spéciale a été accordée par le Conseil des ministres pour une période de dix ans en 1997 et que les travaux se déroulent généralement depuis. Par exemple, dans la région de Chekka, l’excavation a pris une ampleur considérable et les groupes locaux ont étendu leurs actions et accéléré le rythme de leurs pétitions, conférences de presse, articles dans les journaux, sit-in, etc. Ils ont même contacté de nombreux responsables gouvernementaux et écrit des lettres ouvertes. Jusqu’à présent, les questions de zonage et de classification des zones n’ont pas été résolues de manière pratique. Le problème de Chekka est en fait très compliquée.    

Des travaux de réhabilitation très limités ont été menés dans les carrières au Liban, ce qui entraîne une pollution de l’air due à la poussière des carrières qui est soulevée par le vent et remise en suspension dans l’atmosphère des communautés voisines. Il y a quelques mois, les cimentiers se sont montrés plus intéressés par les travaux de réhabilitation suite à la pression exercée par le précédent Conseil des ministres.

D’autre part, les émissions provenant du processus de production du ciment ont diminué au fil des ans. La technologie a été utilisée au mieux pour piéger les particules de poussière libérées par les hautes cheminées des usines, ainsi que d’autres polluants tels que les métaux lourds, ce qui a permis d’obtenir des émissions équivalentes à celles de l’Europe, tandis que les polluants tels que les oxydes d’azote présentent encore des émissions relativement élevées, même si elles sont conformes aux réglementations libanaises actuellement en vigueur en 2022, qui sont elles-mêmes très anciennes et dépassées.     

En général, l’industrie du ciment est une industrie à forte consommation d’énergie. Les combustibles et l’électricité sont les deux principaux types d’énergie utilisés dans la fabrication du ciment.

L’électricité au Liban : un secteur mortel dans les conditions actuelles ?

Le type de technologie de production d’électricité dans les cimenteries au Liban est le même que celui utilisé dans les quartiers pour le grand public, connu sous le nom de générateur diesel. Cette technologie est également utilisée par la compagnie nationale d’électricité, Électricité du Liban (EDL), dans deux de ses centrales électriques et dans les barges électriques précédemment en service, ainsi que dans certaines des cimenteries. Avec une fourniture d’électricité par EDL d’environ 2 à 4 heures par jour pendant la crise économique actuelle, en particulier en 2021, le marché des générateurs d’électricité a augmenté de manière très importante, augmenté par les heures de fonctionnement pour combler le manque d’électricité. Les propriétaires de ces groupes électrogènes n’ont pas accepté de combler complètement le manque généré par EDL dans les conditions actuelles, car ils affirment ne pas avoir obtenu un accord équitable avec le ministère de l’Énergie et de l’Eau sur le prix unitaire de l’électricité. Les conséquences au quotidien concernent la sécurité alimentaire, la sécurité nationale, l’éducation, etc. Au niveau national, les émissions de certains polluants des groupes éléctrogènes ont dépassé celles des centrales électriques depuis 2012. Ces polluants englobent plus d’une centaine de composés chimiques, dont beaucoup sont cancérigènes, entraînant une augmentation du risque de cancer dont l’impact serait tangible dans de nombreuses années à venir. Les émissions de polluants atmosphériques provenant de la production d’électricité des générateurs ont plus que doublé en 2021 par rapport à 2019, juste avant le début de la crise. Les cheminées des générateurs sont généralement courtes et dispersent donc les polluants dans la rue en grande quantité, ce qui entraîne une exposition excessive des résidents. Lorsque les cheminées sont plus hautes, les personnes résidant dans les étages élevés subissent les odeurs et les poussières des gaz d’échappement, alors que ces cheminées sont rarement élevées assez haut au-dessus des bâtiments pour ne pas causer de nuisances aux personnes. La plupart du temps, les générateurs sont uniquement équipés d’un silencieux, tandis qu’une petite partie est équipée d’un filtre à poussière qui n’est généralement pas le plus adapté. Seuls quelques-uns sont équipés de filtres appropriés pour la poussière. Cette conséquence de la hauteur de la cheminée a provoqué de nombreuses admissions aux urgences pour les personnes résidant dans les villes libanaises denses, surtout lorsque la fumée du générateur pénètre dans les appartements par les fenêtres. De nombreuses personnes se plaignent de la nuisance de ce qu’elles peuvent voir comme de la poussière noire ou une odeur – et même de ce qu’elles peuvent entendre avec des niveaux de bruit élevés – impactant leurs appartements même dans les étages supérieurs, surtout dans les villes. En général, les citoyens portent plainte auprès de la municipalité ou du ministère de l’environnement, qui se rendent sur place et demandent au propriétaire du générateur d’effectuer des tests et de vérifier la conformité avec la réglementation en vigueur. Seuls quelques générateurs sont conformes. Le problème réside toujours dans l’impact sanitaire résultant de ces sources d’émissions atmosphériques dans leur configuration actuelle, surtout avec l’exacerbation de la crise de l’électricité et l’utilisation excessive des générateurs d’électricité où l’impact sanitaire devrait augmenter de manière très significative.               

Existe-t-il une réglementation ?

La question de l’application de la loi reste l’étape critique de tout le système. Les réglementations environnementales existent, sont applicables, mais d’un autre côté, celles en vigueur sont anciennes. Ces réglementations furent émises en 2001, mais elles sont devenues obsolètes à l’heure actuelle, les réglementations mondiales étant beaucoup plus strictes et la technologie beaucoup plus avancée. Dans certains cas, les émissions de certains polluants provenant des industries du ciment existantes sont bien inférieures aux réglementations actuelles, mais d’un autre côté, les émissions des carrières ne sont pas surveillées et déclarées correctement. Le contrôle des émissions des générateurs n’est effectué régulièrement que dans les grandes industries, par exemple les cimenteries, mais seulement suite à des plaintes lorsqu’il s’agit des générateurs des quartiers qui, en général, ne sont pas conformes aux réglementations locales en vigueur. Des évaluations complètes de la conformité sont nécessaires, mais un inventaire des générateurs doit d’abord être réalisé. Un projet de création d’une base de données de tous les groupes électrogènes au niveau national a été lancé par le ministère de l’économie il y a quelques années mais n’a jamais été achevé. D’autre part, une mise à jour des réglementations environnementales relatives aux émissions atmosphériques (Décision ministérielle 16/1 datée du 10 février 2022) a été publiée en février dernier par le Ministère de l’Environnement dans le Journal Officiel et qui entrera en vigueur le 10 février 2023. Au moins, cela permettra de garantir des seuils contemporains conformes aux normes internationales. Avec la crise actuelle et la nouvelle réalité de la situation des ministères, demander aux municipalités de jouer leur rôle original d’autorités locales et de bras exécutif des ministères au niveau local est plus que nécessaire à l’heure actuelle.     

Ces exemples n’étaient qu’un aperçu des problèmes auxquels nous sommes confrontés quotidiennement. Les choses ne progresseront pas sans un plan appliqué de manière efficace et une mise en place de la loi.

 

 

Références :

OMS (2022). Air pollution (La pollution de l’air). Consulté le 18 décembre 2021. https://www.who.int/health-topics/air-pollution#tab=tab_2

OMS (2021). WHO global air quality guidelines: particulate matter (PM2.5 and PM10), ozone, nitrogen dioxide, sulfur dioxide and carbon monoxide (Directives mondiales de l’OMS sur la qualité de l’air : particules (PM2,5 et PM10), ozone, dioxyde d’azote, dioxyde de soufre et monoxyde de carbone). Organisation mondiale de la santé. Consulté le 18 décembre 2021. https://apps.who.int/iris/handle/10665/345329   

Banque mondiale (2016). The Cost of Air Pollution, Strengthening the Economic Case for Action (Le coût de la pollution atmosphérique - Renforcer les arguments économiques en faveur de l’action). 122 pages

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