Ce n’était pas la première fois qu’elle parlait de la maladie, mais c’était la première fois qu’elle se permettait d’y penser vraiment. Elle avait vécu dans le déni, continuant sa vie après la guérison comme si rien ne s’était passé. Mais ce jour-là, le mur qu’elle avait construit à l’intérieur d’elle-même s’est effondré. « Je suis revenue des années en arrière, à ces jours où je déambulais dans les couloirs de l’hôpital à la recherche d’une issue. Mais cette fois, je ne pensais pas à moi. Je pensais à ces enfants encore hospitalisés, vivant la même peur, la même solitude, et qui ont besoin d’un moment de joie—celui dont j’avais tant besoin autrefois. »
Avec des ballons colorés, Isra est entrée dans le service d’oncologie de l’hôpital Ghassan Hamoud à Saïda, au sud du Liban. L’entrée de l’hôpital semblait moins intimidante. C’était en avril 2022, et elle venait organiser une petite fête de l’Aïd al-Fitr pour les enfants.
À 13 ans, Isra avait été diagnostiquée d’un lymphome. Son parcours fut marqué par un traitement difficile, une rechute, une greffe de moelle osseuse et de longues semaines en soins intensifs. Reprendre les études et la vie normale fut un défi immense. « C’est l’espoir qui m’a portée, dit-elle. Ce mot m’a donné la force de survivre. »
Même dans les pires moments, elle a insisté pour passer ses examens officiels. Huit ans plus tard, elle réalise qu’elle n’avait jamais vraiment affronté ce qu’elle avait vécu—jusqu’à ce qu’elle transforme sa douleur en action.
Pour l’Aïd 2022, elle a voulu faire entrer la fête à l’hôpital—cette fête dont elle avait été privée. Elle a posté une vidéo sur Instagram pour présenter son idée, réuni 20 bénévoles, et organisé un mini festival avec jeux, goûters et histoires. Les parents et le personnel ont qualifié l’initiative de l’une des plus belles pour les enfants—Isra dansait, étreignait les petits, semait la joie.
C’est ce jour-là que naît « Voix d’espoir ». Elle crée un groupe WhatsApp portant ce nom et rassemble des volontaires. Le nom lui est venu en écoutant la radio « Sawt al-Farah » (Voix de la joie)—elle voulait créer sa propre voix d’espoir. « Je rêvais d’une voix qui diffuse la joie et l’espoir parmi les malades. »
L’idée évolue en une initiative humanitaire durable. Isra comprend que les mots et le soutien émotionnel sont essentiels dans le combat contre la maladie.
Elle collabore avec une amie graphiste pour créer une identité visuelle : un petit oiseau pour symboliser la liberté retrouvée, du violet pour le réconfort, et une note de musique pour l’optimisme.
Isra n’oublie personne—elle se porte volontaire auprès d’associations locales pour fournir du sang aux patients atteints de cancer, après avoir vu des enfants risquer leur vie par manque de donneurs. Dans le sud du Liban, les occasions de bénévolat sont rares—elle choisit donc d’en devenir une.
Elle rêvait d’étudier l’architecture, mais ses soucis de santé l’ont poussée à étudier la traduction. Elle n’a pas abandonné sa passion pour le dessin, organisant des ateliers d’art pour enfants.
Son initiative s’élargit rapidement aux groupes marginalisés. L’équipe organise des ateliers d’art, de théâtre et de langues dans des écoles spécialisées, et visite les maisons de retraite.
Pour financer tout cela, Isra mise sur le sport. « Les jeunes paient pour jouer au basket par plaisir—et si on utilisait cela pour une bonne cause ? » Elle organise des tournois avec des frais d’inscription symboliques qui soutiennent les activités et attirent de nouveaux bénévoles. « Je voulais créer un espace de volontariat au cœur de la société, et faire sentir aux jeunes qu’ils peuvent avoir un véritable impact. » Les terrains de sport deviennent des plateformes d’espoir.
Au début de sa maladie, Isra rêvait de fuir la chambre blanche. Aujourd’hui, elle encourage les malades à faire face. « La maladie fut une bénédiction. Elle m’a appris à voir la vie autrement, avec espoir. » Et de conclure : « Faites face à la maladie, ne la sous-estimez pas. De beaux jours arrivent. » Pour elle, le vrai remède, c’est l’espoir que nous semons de nos propres mains.