Le déclin économique a exacerbé la « précarité énergétique » au Liban... Comment les citoyens s'adaptent-ils alors à cette crise ?

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Posté sur nov. 29 2021 par Hanan Hamdan, Journaliste 12 minutes de lecture
Le déclin économique a exacerbé la « précarité énergétique » au Liban... Comment les citoyens s'adaptent-ils alors à cette crise ?
Adra Kandil
La précarité énergétique désigne la difficulté de la population à accéder aux sources d'énergie modernes, l’utilisation des carburants polluants, et la longue période d’attente pour procurer du carburant afin de satisfaire les besoins essentiels.

Quant à la précarité énergétique domestique, elle désigne une situation dans laquelle le ménage n'a pas accès aux services énergétiques de base pour répondre aux besoins de la vie quotidienne, comme l'éclairage, la cuisine, le refroidissement et le chauffage.

En plus de ces besoins, les services de base liés à la santé, à l'éducation et aux communications deviennent menacés en raison de la pauvreté énergétique, et nous n'aborderons pas, dans ce contexte, le besoin d'énergie pour la production et les loisirs, mais plutôt pour la survie.

Récemment, le phénomène de la précarité énergétique au Liban s'est exacerbé à cause d’un rationnement sévère du courant électrique dépassant 22 heures par jour étant donné les difficultés à fournir les quantités de combustible nécessaires au fonctionnement des centrales de production d'électricité. Les subventions sur les produits de base, y compris le carburant, ont également été supprimées, de sorte que le coût de l'énergie est devenu très élevé et inabordable pour une grande partie de la population.

Il est fort probable que ce problème s'aggrave encore avec l'arrivée de l'hiver, par ce que l’énergie constitue un besoin urgent pour le chauffage et la cuisine. L'inaccessibilité à l'énergie affectera négativement la santé psychologique et physique des familles.

Depuis deux ans, le Liban subit les conséquences de la pandémie de COVID-19, de l'explosion du port de Beyrouth et de la crise économique et monétaire. La dévaluation de la livre libanaise par rapport au dollar a entraîné une augmentation des prix des biens et services, et une baisse du pouvoir d'achat des salaires, ce qui a empêché les familles à revenus faibles et moyens de payer les factures des produits de première nécessité, notamment l’électricité et le gaz, le carburant, et les frais d’abonnement aux services des générateurs.

Pas de lumière ni d’éclairage 

Il y a quelques mois, le Liban est tombé dans une obscurité presque totale. Non seulement les routes et les tunnels sont sans éclairage, mais la plupart des maisons sont aussi éteintes, ou n'ont l'électricité que pendant quelques heures irrégulières.

De nombreuses personnes ont dû annuler l'abonnement au générateur en raison de sa facture élevée et passer à des alternatives plus simples et traditionnelles telles que les bougies et les lampes à batterie. Certaines personnes ont également dû réduire l'abonnement au générateur de la capacité de 10 ampères à 5 ampères, tandis que d'autres ont choisi de déménager à la montagne, où le coût des compteurs est moindre.

Lina Saleh (35 ans) a déclaré : « Les frais d’abonnement à un générateur de 5 ampères dans la maison de ma famille à Beyrouth atteignait entre 1 000 000 et 1 100 000 par mois, alors qu'avant la suppression des subventions au carburants, le cout d’abonnement à un générateur de 10 ampères n'était que de 200 000 livres. Les nouveaux montants sont très chers. »

Il est à noter que certains propriétaires de générateurs demandent des frais d'abonnement en dollars pour 6 heures d'électricité, de 7h à 12h la nuit et parfois deux heures durant la journée. C'est le cas dans la maison de Lina située à Aramoun.

Des cas d’intoxication alimentaire

En plus des conséquences de l'absence de lumière et d'éclairage, les effets des coupures de courant ont atteint le point de menacer la santé et la sécurité alimentaire des personnes. Les cas d'intoxication alimentaire causée par l’altération des aliments ont augmenté dans les maisons, les épiceries et même les restaurants, lorsqu’il fait chaud.

Zahraa (une jeune Libanaise) raconte comment elle a souffert pendant des jours de symptômes d'intoxication alimentaire. Elle a commencé à éprouver ces symptômes un jour après avoir mangé dans un restaurant de luxe à Beyrouth. Elle explique : « Au plus fort des coupures de courant incessantes et du rationnement sévère de l'électricité, voire de l'électricité fournie par des générateurs privés, en juillet dernier, j'ai visité un restaurant à Beyrouth, et le lendemain, j'ai ressenti de forts symptômes d'intoxication alimentaire. C'est la preuve que les aliments ne sont pas conservés dans un endroit froid. Le pire, c'est qu'il était également difficile de pouvoir obtenir le médicament. »

Zahraa souligne les nombreux cas d'intoxication alimentaire enregistrés en raison d'une mauvaise conservation des aliments, en particulier le poulet, la viande et les denrées alimentaires, dans les maisons ainsi que dans les épiceries.

Il est à noter que les cas d'intoxication alimentaire augmentent généralement avec le temps chaud, mais cette année, l'augmentation a été exceptionnelle. C'est ce qu'indique également la vice-présidente de l'Association des consommateurs, Nada Nehme, qui a confirmé la réception de nombreuses plaintes à l'association signalant des cas d'intoxication alimentaire à la suite de manger dans des restaurants, ou à la suite d'achat d'aliments avariés d'un magasin.

« Les coupures d'électricité affectent divers aspects de la vie des gens et la rendent plus difficile », ajoute Nehme. « Nous vivons dans un chaos sans précédent, et la supervision pratiquée sur les épiceries et les magasins est insuffisante. Certaines personnes se contentent d'acheter de la nourriture au quotidien et de ne pas la stocker, mais de toute façon, le pouvoir d'achat des gens a déjà diminué », dit-elle.

Dans le nord, la situation n'est pas meilleure. Jalal Daher, 19 ans, étudiant universitaire du village de Bekaa Safrin (Diniyeh), mentionne que de nombreux habitants de sa ville ne sont plus capables de stocker et de refroidir les aliments et les denrées alimentaires et se sont ainsi satisfaits d'acheter chaque jour ce dont ils ont besoin. Il note aussi que, durant la vague de chaleur, beaucoup d’habitants ont dû jeter la nourriture qui était dans leur réfrigérateur, car ils devaient le vider complètement.

Des difficultés à respirer

Récemment, de nombreuses vidéos ont circulé de parents obligés, à cause des coupures de courant, de transporter leurs enfants d'un endroit à un autre à la recherche d'électricité pour faire fonctionner les concentrateurs d’oxygène.

Cette tragédie a été observée à plusieurs reprises ces derniers temps. Layal, une Libanaise de 35 ans et mère de quatre enfants, raconte : « J'ai vécu dans une angoisse constante pendant les pannes d'électricité et de diesel, craignant de ne pas pouvoir faire fonctionner le concentrateur d’oxygène que j'utilise constamment parce que je souffre d’une insuffisance rénale et une baisse du taux d'oxygène. »

Elle ajoute : « J'ai failli perdre la vie lorsque j'ai eu le souffle court alors que l'électricité était coupée. Dieu merci, mon mari s'est dépêché d'allumer le générateur privé que nous possédons pour que je puisse utiliser le concentrateur d’oxygène. » « Combien de temps vivrons-nous dans ce cauchemar ? » se demande-t-elle.

En raison du rationnement sévère de l'électricité, les propriétaires de générateurs privés ont également été contraints de rationner l'approvisionnement en électricité, à la suite des prix élevés du carburant après avoir supprimé les subventions.

Dans le même contexte, de nombreux enfants, dont les circonstances leur permettent d'aller à l'école, se sont retrouvés contraints de poursuivre leurs cours dans l’obscurité et sans électricité, et la crise s'est encore aggravée avec la pandémie de COVID-19 et de l'adoption du système d'enseignement à distance. Le défi quotidien auquel les élèves, et même les enseignants et les parents, sont confrontés est la sécurisation de l'électricité et de la connexion Internet.

La transition vers le bois

La demande sur les poêles et les fours à bois pour cuisiner a augmenté après que le prix des bouteilles de gaz est devenu élevé, en particulier dans les villages et les périphéries du nord, du sud, et de la Bekaa.

Le prix des bouteilles de gaz avait augmenté de manière significative en raison de la suppression des subventions, ce qui a affecté la capacité de la population à l'acheter compte tenu des prix déjà élevés des biens et des services et de la baisse de pouvoir d'achat des salaires.

Plusieurs régions du Liban ont connu une crise du gaz, de l'essence et du diesel ces derniers mois, en particulier pendant que les subventions étaient progressivement supprimées, parce que certains commerçants monopolisaient les carburants afin de les vendre à des prix plus élevés à une période ultérieure.  

Umm Fadl (38 ans) qui vit dans la périphérie de Tyr (sud du Liban) raconte : « Le prix de la bouteille de gaz est devenu très cher, et il nous en faut au moins deux bouteilles chaque mois. Pour cela, j’ai fabriqué un poêle à bois à l'extérieur de la maison et je l’utilise pour cuisiner. Pour alimenter le poêle, je coupe les arbres de notre jardin. »

Le professeur d'histoire et conseiller pédagogique Bilal Yassin, chef d’une famille de quatre personnes qui vit dans le village de Majdel Selm dans le Sud, considère que le poêle à bois constitue une alternative au réchaud-four à gaz pour la cuisson, notamment lors de la récente crise de pénurie de gaz.

Yassin explique : « L'idée m'a traversé l'esprit lorsque le prix du gaz a commencé à augmenter, donc le prix d'une bouteille de gaz est passé de 30 000 à 300 000 livres, devenant environ dix fois plus cher. De plus, le gaz n'était pas toujours disponible sur le marché à cause des monopoles, alors nous avons réalisé que nous allions faire face à des circonstances plus difficiles. De là est venue l'idée du poêle. »

Yassin ajoute : Comme le poêle traditionnel ne fonctionne pas s'il pleut, j'ai contacté un forgeron de la région, et il a construit un poêle qui convient à la saison hivernale. Nous pouvons y allumer des bâtons et des feuilles, et son coût est très bas, peut-être égal au prix d'une bouteille de gaz à l'heure actuelle. C'est une alternative toujours prête pour la cuisson. »

Remarquablement, de tels poêles peuvent être utilisés sur les toits des bâtiments dans les villes. D'autre part, certaines personnes installent des fours et des poêles à bois dans leurs maisons en raison des prix élevés du pain et de la farine.

Un hiver froid

En plus de tout ce qui a été mentionné, nous approchons de la saison hivernale, au cours de laquelle les gens ont besoin de diesel et de gaz pour se chauffer, et leurs prix dépassent les capacités de nombreux Libanais.

Jalal Daher clarifie que la majorité des habitants de sa ville de Bekaa Safrin utiliseront du bois et non du diesel pour se chauffer cette année, car ils ne sont pas financièrement aisés. C'est ce qui se passe actuellement également dans le sud, le nord et la Bekaa, où la majorité de la population passent du diesel au bois cette année, à l'exception des familles aisées ou de celles qui ont stocké des litres de diesel depuis l'année dernière.

Le prix d'une tonne de bois de chauffage a également considérablement augmenté, atteignant environ 3 millions de livres dans la région de Labweh, par exemple. Un simple calcul montre que chaque famille a besoin d'environ 4 à 5 tonnes, ce qui coûte entre 12 et 16 millions de livres.

Cependant, la demande sur le bois de chauffage a décuplé, malgré ses prix élevés. En même temps, beaucoup recourent à la collecte aléatoire de bois de chauffage et à la coupe des arbres, ce qui affecte inévitablement l'environnement forestier.

L’indisponibilité d'énergie pour le chauffage pose un danger supplémentaire qui affectera la santé de beaucoup, en plus du fait que l'abattage aléatoire des arbres a également des effets négatifs sur l'environnement, et le manque d'électricité et de gaz pour la cuisson rend les circonstances plus difficiles. Alors, existe-t-il une alternative ?

Des alternatives existent, mais …

Selon George Azar, propriétaire d'une entreprise qui vend des solutions d'énergie solaire, la demande sur l’installation de systèmes d'énergie solaire pour la consommation personnelle a augmenté parce que cette initiative est plus durable que d'autres solutions et ne nécessite pas de carburant.

Cette demande vient de groupes spécifiques qui sont plutôt aisés, surtout au vu du faible pouvoir d'achat. Le coût de tels systèmes, selon Azar, commence à $2500 et augmente à mesure que la capacité en ampères augmente.

Malgré cet optimisme, tous ceux qui adoptent cette option comme alternative n'ont pas pu résoudre la crise des pannes d'électricité, car certaines personnes utilisent l’énergie solaire pour assurer les besoins de base minimum, comme l’Internet, le réfrigérateur, et la télévision, et rien de plus.

Les conséquences et comment faire face à la crise

L'économiste Patrick Mardini confirme que la précarité énergétique a un impact important sur les divers secteurs productifs. L'inaccessibilité à l'électricité, l'adoption de générateurs privés, et les frais d'abonnement aux générateurs qui en résultent, augmentent les coûts supportés par le secteur industriel, agricole et même touristique. Cela crée du chômage et des fuites de capitaux, et affecte ainsi négativement la croissance économique et conduit à une augmentation des taux de pauvreté.

Mardini considère que la principale raison de la précarité énergétique au Liban réside dans le monopole de l'État sur ce secteur et l'interdiction des investissements du secteur privé dans celui-ci, car personne ne peut mettre en œuvre un projet énergétique sans l'approbation du ministère de l'Énergie.

Par conséquent, Mardini pense que faire face à la crise commence par permettre aux investisseurs, à la population et à toute partie désireuse d'investir dans le secteur de l'énergie de sécuriser l'électricité. Cela peut résoudre une partie du problème sans avoir recours aux finances de l'État.

La deuxième solution consiste à utiliser les énergies renouvelables, ce qui peut être adopté comme une solution sérieuse au Liban. Cependant, cela contredit également la loi qui empêche les investisseurs de produire de l'énergie et de la distribuer aux gens.

Mardini considère que la solution réside donc dans la modification de la loi libanaise afin de permettre l'entrée des producteurs d'énergie dans le secteur, que ce soit au niveau des énergies renouvelables ou conventionnelles.

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