Un cumul d’erreurs et d’échecs à l’origine d’une pollution de l’eau à tous les niveaux

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Posté sur mai 27 2022 par Suzanne Baaklini, Journaliste 6 minutes de lecture
Un cumul d’erreurs et d’échecs à l’origine d’une pollution de l’eau à tous les niveaux
Adra Kandil
Le fleuve Litani, le plus grand cours d’eau du pays entre la Békaa et le Sud, est devenu synonyme de contamination sans pareille et défraie régulièrement la chronique à ce sujet. La côte libanaise est notoirement polluée, même si le taux de pollution (principalement bactériologique mais aussi chimique) varie d’un point à l’autre, comme le montre chaque année le rapport du Centre de sciences marines du Conseil national de la recherche scientifique.

Les nappes phréatiques du pays n’échappent pas à la contamination par l’infiltration des eaux usées notamment. Rien ne semble freiner cette aggravation de la pollution des cours d’eau, de la côte et des aquifères, bien au contraire, de nombreux facteurs entravent la mise en application de politiques énergétiques et environnementales durables visant à régler l’un des problèmes écologiques les plus répandus du pays, qui affecte autant la qualité de l’eau que sa distribution. Mais quels sont ces principaux facteurs ?

 

Pour Nadim Farjallah, directeur du programme d’environnement et de changement climatique à l’Institut Issam Fares de l’AUB, le problème essentiel vient de la non-application des politiques adoptées, encore plus que des politiques elles-mêmes. « Les eaux usées non traitées sont la principale source de pollution de l’eau au Liban, explique-t-il. Or les stations de traitement des eaux usées au Liban ont été réalisées sans que les donateurs ne s’assurent si les principaux bénéficiaires, qui sont les offices des eaux, sont capables de les gérer une fois leur construction terminée. Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de ces offices refusent de prendre le contrôle de certaines de ces infrastructures, d’une part en raison d’un manque de budget pour assurer l’entretien, l’achat de pièces de rechange ou de mazout pour les générateurs, et d’autre part parce qu’il leur manque le personnel spécialisé et formé pour ce genre de tâches. »

 

Roland Riachi, enseignant et chercheur, critique sévèrement des projets sur lesquels beaucoup d’argent a été dépensé sans résultat. « Les grands projets de stations d’épuration des eaux usées, une soixantaine principalement le long de la côte, sont soit non-opérationnels, soit fonctionnent à effectif très réduit. On peut même parler de projets fantômes. » A ce propos, l’expert blâme autant « l’inefficacité et la corruption des organes étatiques libanais que les financements internationaux qui ne tiennent pas compte du manque de résultats », rappelant qu’un milliard de dollars ont été investis sur des stations d’épuration qui ne fonctionnent tout simplement pas. Il pointe du doigt par ailleurs une stratégie nationale de l’eau principalement axée sur la construction de barrages, dans laquelle l’épuration des eaux usées, et son rôle primordial dans la protection des ressources hydrauliques, n’existe tout simplement pas. 

Nadim Farjallah fait pour sa part remarquer que la conception même des stations d’épuration manquait de vision énergétique, dans le sens où les technologies choisies ne prennent pas en compte l’économie d’énergie. Un autre problème majeur selon lui est l’absence de contrôle sur les rejets industriels très toxiques, qui « sont fatals pour les micro-organismes utilisés dans les stations de traitement des eaux usées, ce qui entrave le traitement des eaux usées municipales (venant des maisons principalement) qui arrivent à la station ». 

 

Des impacts à tous les niveaux

La pollution qui résulte de l’absence de politiques adéquates est aussi généralisée que grave. Roland Riachi note qu’en montagne, les aquifères souterrains, qui devraient être protégés en tant que sources d’approvisionnement en eau pour un grand nombre de citoyens, sont souvent pollués par les fosses septiques des constructions en hauteur, très rarement reliées à des réseaux d’égouts. Dans les villes côtières, les bâtiments sont plus souvent raccordés aux réseaux, mais les eaux d’égout collectées finissent quand même non traitées dans la mer. Roland Riachi dénombre non moins de 55 décharges d’égouts non traités sur la côte, soit une chaque quatre kilomètres.

Nadim Farjallah évoque des conséquences graves sur la population. « Le pire impact est celui de la propagation des maladies reliées à l’eau, comme la typhoïde, le choléra, des maladies de peau, des cas d’hépatites…, dit-il. Un autre impact est le coût de l’acheminement de l’eau vers les maisons, qui augmente de manière significative du fait que les offices de l’eau doivent traiter l’eau potable. Ce surcoût aurait été économisé si les sources étaient moins contaminées. » 

D’un point de vue environnemental, il souligne que « la pollution affecte la vie marine, elle tue des poissons, des amphibiens, la végétation, d’où une perte de biodiversité mais aussi de sources d’approvisionnement pour les pêcheurs ». Il signale le problème fondamental de la pollution des sources souterraines « qui dure bien plus longtemps que celle des cours d’eau superficiels, et est excessivement chère à traiter ». 

 

Des énergies renouvelables dans les stations

 

Le problème de la pollution de l’eau au Liban va croissant, et pourtant les solutions existent, qu’elles soient d’ordre administratif, technique ou politique. D’un point de vue technique, Nadim Farjallah préconise que les stations d’épuration des eaux usées soient connectées de manière adéquate aux réseaux d’égouts, faute de quoi le déversement sans traitement des eaux d’égout continuera à polluer les cours d’eau ou la mer. Il insiste également sur la nécessité d’économiser l’énergie tout en assurant une épuration des eaux usées conforme aux normes. « Ces stations devraient être équipées de sources d’énergie renouvelable, comme le photovoltaïque (solaire) ou de digestion anaérobie des boues des stations d’épuration (la partie solide qui demeure après l’épuration). On pourrait profiter de ces matières organiques, qui dégagent du méthane (gaz pouvant être employé pour faire fonctionner des turbines), afin de produire l’électricité nécessaire pour faire fonctionner la station. » 

 

A un niveau administratif, l’expert préconise que, si les offices de l’eau choisissent de signer des contrats avec des entrepreneurs pour la gestion de ces stations, qu’ils basent ces contrats non seulement sur la performance technique de qualité, mais aussi sur des engagements à faire des économies sur le coût de traitement. Cela poussera les entrepreneurs en question à s’assurer de l’optimisation de la performance, et de la réduction des pertes d’énergie inutiles.  

A un niveau environnemental, Roland Riachi estime que la solution viendrait de la protection en amont des sources, comme par la connexion des villages et des grands complexes de montagne aux réseaux d’égouts, en passant par l’abolition des fosses septiques. L’expert mentionne également l’idée de profiter de la géomorphologie du pays, en exploitant la force gravitationnelle des sources en hauteur en vue d’approvisionner la population, au lieu de compter sur le pompage de l’eau qui représente un coût conséquent pour les offices des eaux et est consommateur d’énergie.

 

La pollution de l’eau est un problème multidimensionnel qui résulte de l’échec des politiques en place et des pratiques entachées de corruption, et seule une volonté politique qui placera ce domaine au centre des priorités pourra y apporter un changement significatif.  

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